La force des mots écrits à la main…

Gare Montparnasse, lundi 21 juillet 2013, 8h50. C’est la cohue des départs en vacances : les gosses pleurent, ils ont trop chaud, les parents s’efforcent de ne pas perdre les valises, les grands-parents émettent des hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres sur la durée du trajet en essayant d’inclure dans leurs calculs l’éloignement du lieu de destination, les éventuels incidents pendant le voyage, le retard inéluctable vu l’encombrement du trafic. La gare bruisse de toute cette liesse qui précède l’euphorie du départ.
Voiture 13, première classe : une jeune femme à l’allure évanescente monte dans la voiture. Elle est en jeans, porte des sandalettes et a un chemisier rouge qui met en évidence son teint de blonde et ses magnifiques yeux bleus. Ses cheveux mi-longs sont retenus par un chouchou rose vif qui s’accorde parfaitement avec son chemisier. Elle a une toute petite valise qu’elle tient à bout de bras comme si elle était vide. Elle progresse dans le wagon, jetant un oeil sur les numéros des sièges. Elle repère sa place dans un compartiment occupé par une jeune maman et ses deux enfants, un petit garçons de deux ans et sa soeur, plus âgée. Avec un sourire, elle entre et s’installe après avoir sorti de sa valise un bloc de papier et un stylo-plume.
Les gens arrivent maintenant à flots continus, le TGV est complet. Le niveau sonore se calme peu à peu et la voix du chef de train annonce le départ imminent de la rame vers l’Océan Atlantique tandis que les derniers retardataires courent encore sur le quai pour ne pas rater leur train.
Sous l’œil très intéressé des deux enfants, l’inconnue prend son stylo et se met à écrire sur une feuille de son bloc. La maman la regarde aussi, intriguée de voir une larme couler sur la joue de la jeune femme. La petite fille dit :
Mais tu pleures ?
La jeune femme s’interrompt un moment, lève la tête et lui sourit, un sourire timide mais chaleureux, tout en essuyant la larme qui s’est hasardée sur sa joue avec un petit mouchoir en dentelle qu’elle va pêcher au fond de sa poche…
C’est rien, lui répond-elle, c’est rien…
Puis elle se remet à écrire, une lueur incandescente au fond des yeux, comme si elle voulait brûler sa feuille rien qu’en la regardant. La maman se penche alors en avant, au risque d’être impolie, et déchiffre tant bien que mal les mots qui noircissent maintenant la page :

lettre1lettre2lettre3

La maman sent son cœur se remplir de compassion pour la belle inconnue assise en face d’elle tout en éprouvant une angoisse soudaine. Elle prend son iPhone et vérifie anxieusement que son mari lui a envoyé un sms. Rassurée elle se met à lui taper une réponse hâtive avant que ses enfants ne l’accaparent tout le reste du voyage. L’inconnue quant à elle a rangé bloc et stylo et contemple le paysage qui défile à toute vitesse derrière la vitre, un sourire timide sur ses lèvres, les yeux perdus dans le vague…

logo-plumes2Les Plumes 10 : les mots à placer sont : retour, euphorie, liesse, valise, chant, solitude, larme, immortel, mouchoir, voyage, destination, horizon, retard, trajet, rupture, retraite, rater et incandescent, impétueux, inverser.

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Publié le 26/07/2013, dans Ecriture, Solange, et tagué , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 9 Commentaires.

  1. beau et triste à la fois
    ça, j’en étais sûre, que les textes allaient être à pleurer
    je ne vais pas me contenter de mon petit mouchoir brodé, je vais sortir carrément les grands mouchoirs que m’a légués ma grand-mère
    je plaisante
    j’aime

  2. voila que les yeux se mouillent….Bien écrit

  3. Haaa mais c’est qu’elle est inquiétante cette inconnue mine de rien !!! Tu arrives à nous semer le doute dans un paysage apparemment innocent ! 😉

  4. Il est vrai que les mots étaient tous connotés…. Une bien belle rupture !
    avec le sourire

  5. Olivia Billington

    J’aime bien la situation. 🙂 Joliment décrite.

  6. Que voilà un texte …….sage …

  7. Excellent le coup du SMS…c’est vrai qu’il y avait de quoi avoir quelque doute…elle semble bien jolie cette jeune dame, telle que tu nous la décris…

  8. Une belle rupture et un magnifique texte. 😀 J’adore ! 😀

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