La Rebelle à terre…

logo-rebelleElle a l’impression d’être sous sa couverture comme quand elle était petite : c’était son passe-temps favori à une certaine époque, presque une obsession, se cacher sous une vieille couverture miteuse et y rester pelotonnée pendant des heures. Elle se recroquevillait là en ramenant ses genoux cagneux contre sa poitrine toute plate et laissait le temps s’égrener, bien au chaud et en sécurité dans une quiétude délicieuse.
Pourtant ce n’est qu’une impression fugitive : les hurlements et l’agitation incessante autour d’elle finissent par la faire sortir de cette paralysie qui l’a envahie sans crier gare au moment où elle aurait eu grand besoin de toutes ses facultés. Son esprit remonte à toute vitesse de ce gouffre sombre où il s’est planqué et elle refait enfin surface. Le magasin est digne de l’enfer, un monde où la folie vous guette à chaque instant. Elle baisse les yeux pour chasser le vertige qui la fait chanceler et un cri d’horreur monte du fin fond de ses entrailles : Webbs est étendu à ses pieds, la gorge grande ouverte. Son sang s’est répandu tout autour de lui, noyant le parquet sous une flaque rouge vif, ses yeux sont définitivement immobiles et semblent la regarder une dernière fois : elle prend conscience qu’elle ne pourra plus jamais effacer de son esprit ce regard vitreux chargé de reproches et que si son calvaire à lui est terminé, le sien ne fait que commencer. A moitié sur lui git la nana aux cheveux rouges, couchée sur le ventre, une tache de sang dans le dos.
Sans crier gare, des images ressurgissent dans l’esprit perturbé d’Ana, comme si elle les avait enregistrées afin de pouvoir se les repasser tranquillement sur son canapé en cuir noir: elle revoit la tueuse avancer vers elle, son bras se lever et brusquement s’effondrer en avant tandis que derrière elle apparaît la petite brune aux yeux vairons qui était planquée dans la cabine d’essayage… Bordel de merde, c’est cette fille qui lui a sauvée la vie ! Cette pensée la ramène de nouveau au moment présent : elle doit faire quelque chose sinon cette fille est foutue, elle sait bien comment réagissent ses collègues lorsqu’ils sont face à un tueur de flics !
Elle chasse momentanément toutes ses peurs de son esprit, se concentrant sur la seule idée de retrouver la petite brune. Des voix se font entendre dans son oreillette, elle revient complètement à elle et réagit enfin : elle approche son émetteur miniaturisé de ses lèvres et articule le plus calmement possible même si elle sent son cœur battre la chamade :
Officier à terre au troisième étage, suspecte abattue, je répète, suspecte abattue, demande du renfort !
Puis elle se met en marche, d’abord lentement puis de plus en plus vite : elle jaillit en haut de l’escalier sa plaque bien en vue dans sa main gauche levée, son arme de service toujours dans sa main droite :
Police, écartez-vous, police !!!!!!
Elle dégringole les marches de l’escalator dans une course démente et aperçoit David Neels sur le palier du second :
Vite, avec moi crie-t-elle, Webbs est mort, il faut rattraper la suspecte !
Neels ne pose aucune question et la suit. Ils arrivent dans le grand hall et se retrouvent à leur tour sur le trottoir. En quelques mots Ana lui raconte ce dont elle se souvient, elle sent qu’elle est en train de pleurer mais elle s’en fout :
Elle m’a sauvé la vie, il ne faut pas la tuer tu m’entends ?
Neels acquiesce, prend son émetteur et se met à donner des ordres au reste de la troupe planquée un peu partout entre le magasin et l’hôtel.. Soudain il s’arrête, écoute puis prend brusquement Ana par le bras et l’entraîne :
Vite, il va y avoir du grabuge, elles ont été stoppées devant l’hôtel, Dansay en a pris une en otage !
Sans attendre la suite, Ana se met à courir de toutes ses forces, suivie par Webbs. Le décor est digne d’un film policier, elle distingue la façade de l’hôtel, le périmètre de sécurité matérialisé par les bandes rouges et blanches. Sans ralentir elle passe sous le ruban malgré les cris des flics planqués derrière les voitures arrêtées au milieu de l’avenue. Elle se rue vers la porte de l’hôtel lorsque brusquement des coups de feu éclatent : elle enregistre la scène en un clin d’œil, la fulgurance des détonations, le tueur de di Rotto qui percute la paroi vitrée et glisse lentement sur le sol, mais ce qui focalise son attention c’est la brunette qui court vers l’autre nana en sang allongée sur le trottoir sans se soucier des balles qui sifflent autour d’elle. Puis elle est touchée, Ana voit clairement l’impact qui la propulse en avant vers le corps de sa complice : une tache écarlate apparaît comme un fruit rouge dans son dos et une autre au niveau de sa jambe gauche. Elle s’effondre sur la blonde tandis qu’Ana se rue en hurlant :
Cessez le feu, je suis de la police, cessez le feu !!!
La brune essaie de se redresser et d’attraper le pistolet du tueur mais Ana est déjà sur elle, elle la saisit par les épaules et la plaque contre sa poitrine, lui faisant un bouclier de son corps et l’arrachant du même coup au corps de la blonde dans une étreinte érotique colorée par le sang qui s’échappe de ses blessures. Elle la sent devenir flasque entre ses bras, elle est couverte de sang elle aussi. Elle se retourne vers les autres flics qui pointent encore leurs armes et hurle :
Appelez les secours, magnez-vous !!!!

Le calme est revenu. L’avenue est toujours fermée à la circulation. Les flics de l’équipe scientifique vont et viennent, effectuent des relevés d’empreinte, récupèrent chaque douille après en avoir noté la position exacte. Les corps de la blonde et du tueur ont été emportés à la morgue, ne laissant derrière eux, sur le trottoir, qu’une trace de craie. La brune est dans un état grave, son pronostic vital est engagé : elle a été embarquée vers l’hôpital avec deux gars de l’équipe de Neels, comme si elle pouvait encore se remettre debout et se mettre à danser un tango. Ana est assise sur la couchette d’une ambulance, un médecin prend sa tension, écoute les battements de son coeur. Neels ne la lâche pas d’une seconde, il veut qu’elle lui explique ce qui s’est passé au troisième étage du magasin mais Ana n’a pas l’air dans son assiette. Lorsque le médecin la laisse enfin, elle soupire, se redresse et regarde Neels :
Je n’ai pas pu réagir, je ne comprends pas ce qui m’est arrivé, Webbs est mort à cause de moi, j’ai perdu pied, j’ai eu un moment d’égarement qui lui a été fatal…
Sa voix tremble, ses yeux sont plein de larmes : ces deux dernières heures viennent de gommer tout ce qu’elle a pu apprendre à l’école de police et la laissent complètement anéantie.
Mais non, lui réponds Neels, viens, il faut te faire débriefer, on retourne au Central…
Ana se met debout et se retrouve une nouvelle fois sur le trottoir. Il va être temps pour elle de rendre des comptes mais avant elle attrape Neels par la manche et le fixe de façon intense en lui disant :
Neels, je veux être informée de son état de santé, d’accord ?
David Neels la regarde pensivement puis lui sourit et dit :
OK, pas de souci, allez viens, on a du boulot sur la planche !
Elle le suit enfin d’une démarche hésitante, étonnée de ce lien fusionnel qui s’est créé entre elle et cette nana aux yeux vairons.

logo-plumes2

Les Plumes à thème 4 : résultat de la collecte pour PASSION : obsession – fruit – calvaire – égarement – film – érotique – feu – intense – gouffre – fusionnel – folie – rouge – vertige – fulgurance – danser – délicieux – dément (dans le sens de fou, aliéné).
Le blog d’Asphodèle : http://leslecturesdasphodele.wordpress.com/2013/02/18/les-plumes-a-theme-4-resultats-de-la-collecte-pour-passion/

Publié le 21/02/2013, dans Ecriture, La Rebelle, et tagué , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 23 Commentaires.

  1. Hé bien ! ça sent l’épilogue, quel rythme !

  2. Toujours aussi bien écrit et aussi habile. Impossible de déceler les mots à part si on les recherche…

  3. Courageuse la minette!
    Bisous

  4. Les mots semblaient faits exprès pour cette histoire 🙂 c’est fini pour la rebelle ?

  5. il me tardait de te lire, les mots t’allaient bien
    et pour ce mélange de violence et passion, bravo et merci

  6. J’espère qu’elle va s’en sortir…
    Bon week-end Solange 🙂

  7. Toujours aussi prenant !

  8. Arrête de tuer tout le monde, Solange !

  9. Le carnage continue 🙂

  10. Bientôt la fin, je me prépare psychologiquement…

  11. Toujours crescendo ! 😀 J’adoooore ! 😀

  1. Pingback: LES PLUMES à thème 4 – PASSION – Les TEXTES ! | Les lectures d'Asphodèle

Laisser un commentaire